Suggestions de visionnement

Painkiller : le gain capital au détriment de la santé sociale

Par Sophie Archambault

Suggestions de visionnement

8 novembre 2023

Capture d’écran de la pré-bande d’annonce de la série, Netflix

Retraçant les origines de la crise des opioïdes qui fait encore aujourd’hui des ravages aux États-Unis, la mini-série Painkiller lève le voile sur la cupidité humaine, le manque d’éthique ainsi que l’immoralité d’un homme prêt à tout pour que son patrimoine passe à l’Histoire, et ce en faisant fi du bien-être social.

Aux États-Unis, à la fin des années 1990, se trame un projet qui changera à jamais le visage de la société pharmaceutique Purdue Pharma. Son président, Richard Sackler, en poursuivant le travail de son oncle Arthur Sackler, crée puis commercialise l’OxyContin, un analgésique stupéfiant extrêmement addictif. Celui-ci sera responsable de plus de 500 000 morts en 20 ans, puisque ce dérivé de l’héroïne est au départ prescrit pour tout et n’importe quoi.

Le spectateur suit l’histoire de Sackler, mais aussi celle de trois autres personnages qui montrent les coulisses de cette mise en marché mortifère. Entre Shannon Schaeffer, représentante commerciale désemparée dont la mission est de convaincre les médecins de prescrire à hautes doses l’OxyContin, et Glen Kryger, victime de cette campagne lancée par Purdue Pharma qui l’amène à développer insidieusement des comportements toxicomanes, nous nous retrouvons aux premières loges pour évaluer l’impact du manque de déontologie des développeurs de cette pilule mortelle. C’est par l’intermédiaire d’Eddie Flowers, visage de l’intégrité et inspectrice du bureau du procureur de Virginie tentant par tous les moyens de condamner les crimes commis par Purdue Pharma, que nous assistons à cette tentative désespérée de restauration d’une forme de justice sociale.

 

Une campagne marketing réfléchie et tordue

 

Grâce aux nombreuses scènes où Richard Sackler hallucine des conversations avec son oncle à propos du développement de l’OxyContin, nous comprenons assez vite l’importance que la famille Sackler accorde à sa réputation. De ce fait, Richard décide de reprendre les techniques marketing de son oncle, soit la vente directement aux médecins, ce qui favorisera la commercialisation de masse de l’OxyContin ainsi que, bien sûr, le gain financier et la reconnaissance nationale. Comme le dit bien Barry Meier dans son livre Pain Killer dont s’inspire la mini-série mise en ligne sur Netflix, la famille Sackler

 

a contribué à lancer certaines des pratiques les plus controversées et les plus troublantes de la médecine : l’octroi de faveurs aux médecins, les dépenses somptueuses engagées pour des consultants et des experts prêts à soutenir les affirmations d’un fabricant de médicaments, le financement de soi-disant groupes d’intérêt commerciaux indépendants, la création de publications servant de porte-parole de l’industrie et l’exploitation pure et simple de la recherche scientifique à des fins de marketing.[1]

 

Effectivement, Purdue Pharma utilise à des fins immorales une rhétorique qui propulse l’OxyContin dans le milieu médical. En conceptualisant une mascotte en peluche à l’effigie du stupéfiant, en flattant l’égo d’un fonctionnaire du Food and Drug Administration pour précipiter l’approbation de l’OxyContin, mais aussi en engageant des représentantes commerciales jugées comme étant attirantes – appelées dans la mini-série les minettes Purdue – pour vendre l’OxyContin et stimuler les prescriptions, Richard Sackler crée une société pharmaceutique et médicale qui ignore le serment d’Hippocrate pour mieux se baser sur une philosophie capitaliste. Britt Hufford, la mentore de Shannon Schaeffer, explique bien cette idéologie du profit qui influence toutes les personnes touchant de loin ou de près à la vente et la prescription d’OxyContin en affirmant que «plus ils [Purdue Pharma] font, plus nous faisons.» (0:18:43, épisode 3)

 

Deux poids, deux mesures

 

Cet appel du capital, du luxe, voire ultimement de la luxure, est constamment mis en miroir avec l’impuissance que ressent Eddie Flowers durant ses recherches sur Purdue Pharma ainsi que la détresse qui assaille Glen Kryger et son entourage se retrouvant à jongler avec l’addiction de celui-ci. Ce contraste entre la souffrance humaine et les excès luxuriants (fêtes, congrès…) que se permettent ceux qui sont en relation avec Purdue Pharma ne peut qu’illustrer la négligence fatale de ces hommes et ces femmes ayant une mission sociale à accomplir. Confrontés à cet égoïsme, cet aveuglement volontaire et le manque flagrant d’éthique qui a causé la crise des opioïdes américaine, cette mini-série met l’accent sur la nécessité d’assurer la bienveillance et la préservation de la moralité des professions détenant des responsabilités sociales et exerçant un certain pouvoir, comme l’ont bien démontré Edgar Morin et Stéphane Hessel dans leur essai Le chemin de l’espérance.

Au fil des épisodes de cette docufiction réalisée par Peter Berg, nous comprenons que Purdue Pharma est très au courant des répercussions négatives des prescriptions abusives d’OxyContin. Alors que la société pharmaceutique connaît l’existence de techniques développées par les patients pour se procurer des prescriptions d’OxyContin ainsi que de l’usage du stupéfiant comme drogue récréative écrasée puis aspirée par voies nasales (certains travailleurs de Purdue Pharma la consomment également!), la société pharmaceutique use à nouveau de rhétorique. Elle blâme non pas le haut potentiel addictif de l’OxyContin, mais bien les toxicomanes eux-mêmes qui utilisent abusivement et à mauvais escient le médicament.

L’épisode 5 nous renseigne d’ailleurs sur le fait qu’un membre de Purdue Pharma, sur ordonnance de la société pharmaceutique, a rédigé un mémo pour évaluer le haut potentiel addictif de l’OxyContin afin que Purdue Pharma puisse estimer la gravité de ce problème. Le rapport a été détruit dès sa finalisation ; Purdue Pharma connaissait parfaitement les risques associés à la prise de ce médicament, mais a choisi de bercer les patients d’illusions dans le seul but d’augmenter leur apport monétaire.

Malgré qu’environ mille poursuites judiciaires sont intentées contre Purdue Pharma en 2019, aucune somme d’argent ne pourra jamais remédier à la souffrance de centaines de milliers de personnes ayant eu le malheur de croiser le chemin de l’OxyContin, cette pilule issue de cerveaux franchement apathiques, cupides, égoïstes et préférant le gain capital plutôt que la santé sociale.

 

Note :

 

[1] Meier, Barry, Pain Killer: An Empire of Deceit and the Origin of America’s Opioid Epidemic, New York, Random House, 2018, p. 52, traduction libre.

 

À PROPOS DE SOPHIE ARCHAMBAULT

Étudiante à la maîtrise en études littéraires, Sophie lit et écrit pour mieux saisir l’humain, la société, mais surtout le monde dans lequel elle évolue. Oiseau de nuit, c’est en multipliant des lectures nocturnes sur la spiritualité et le phénomène religieux que son intérêt marqué pour le concept du sacré s’est doucement développé. Amoureuse de la nature et de ses dangereuses beautés, de la mythologie, de l’histoire de l’art et de tout ce qui requiert de la créativité, Sophie prend plaisir à se rencontrer elle-même à travers ces passions pour ensuite mieux s’ouvrir au monde qui l’entoure.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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